Lire aussi:

Rêve
Furieux Furan
Les pieds de l'ange
Dialogue d'un autre âge
Architecture & patrimoine
Architecture Bois & santé
L'église St Pierre
le poisson et l'eau
Soirée voisin
Architecture "Grand Age"
Créer dans le crée
Architecture/Technologie



TEXTES




LES PIEDS DE L'ANGE
Ou propos sur les méthodes


Les pieds de l'ange sont au-dessus du chemin.
Au-dessus des chemins, il vole. Il voit la carte complexe et ramifiée.
L'ange est moins perdu que moi et sait peut-être mieux où aller !

Pourtant l'énoncé du problème est simple :
1 : 6 000 000 000 d'êtres humains
2 : une petite boule bleue de 40 000 kms de circonférence à habiter.

Pourquoi les réponses sont-elles si complexes et tâtonnantes, si diverses et momentanées, si réussies ou si ratées !

Vous avez dit méthodes : comme disent les grecs : META ODOS : vers le chemin, au-dessus du chemin…

Mais je ne sais pas voler !

J'essaie bien d'imaginer l'ange quand je marche sur un chemin droit et ouvert, je l'appelle au secours quand je trouve une bifurcation particulièrement compliquée.

Dans mon sac, point de carte.

Seul restent, l'envie de marcher, la nécessité intérieure, l'EN-VIE, le souffle de l'ange ?

Nous sommes tellement sourds ! tellement sûrs de pouvoir maîtriser !…

Les anges doivent bien se marrer à moins que leur générosité les inonde de larmes !…

Vous avez dit "méthodes" ?
Je sais raconter le chemin parcouru, je ne sais pas prévoir le chemin à venir.
Je sais expliquer le projet réalisé, mais pas le pro-jet à naître : il est justement un "pas encore ici", un "pas encore maintenant".
S'il est vraiment vivant, il va me surprendre, m'étonner. Il se ressource de l'imprévisible.

La qualité du temps est ma différence avec lui. Le travail méthodique ne peut que reproduire ou rassurer. C'est à ce titre une nécessaire prudence : évaluer le nouveau à l'aune de l'expérience du chemin parcouru. Cette nécessaire prudence est aussi un danger. Car le vivant surgit dans l'écart.
Prudence ravalée, il faut que je l'accepte.
Prudence dépassée, il faut que je le souhaite ; c'est l'ange qui me l'a dit par une journée légère, sans peur et sans bruit.






CHEMINS PARCOURUS

MAISON GIRAUD-RUET DANS LE HAUT-BEAUJOLAIS

Dans le chemin des ressources :
Ramasser les pierres d'une ruine sous un buisson voisin pour bâtir les soubassements.
Couper les sapins de la forêt voisine à la bonne lune pour tailler la charpente.
Isoler avec de la laine de bois pour que le poseur ne se gratte pas avant de dormir.
Tendre des pare-vapeurs en papier ciré pour éviter les molécules que la nature ne sais pas bien digérer.
Peindre en éliminant les solvants ramollisseurs de neurones.
Carreler d'argile locale cuite pour diminuer les transports routiers.
Alimenter les lieux de sommeil en basse tension.
Eliminer sous les lits la circulation d'eau du P.S.D.

Dans le chemin du site :
S'enfoncer dans ce sommet de colline pour ne pas déranger le vent froid.
Buter le mur nord de terre comme un pied de pomme de terre.
Placer les plans et volumes pour créer au sud un micro climat chaud.

Dans le sentier des grandes échelles :
Ralentir le cycle de l'eau par une toiture plantée et un bassin percé, amortisseur hydraulique qui coule dans des drains inversés.
Placer 17 m² de capteurs solaires pour minimiser l'usage des combustibles fossiles (gaz)

Mais aussi sur les sentiers escarpés des énergies subtiles :
Demander au paysan sourcier, fumeur de "gitanes maïs" de localiser les eaux souterraines pour s'implanter à côté.

Ces gestes "low-tech" permettent de ne pas écraser les noisettes avec un marteau-pilon, d'ajuster parcimonieusement les énergies nécessaires, de restocker (un peu) du Co2 massivement envoyé sous notre plafond céleste, permettre la fierté de tous ces hommes (nous insistons : ces hommes) sur le chantier.

Ces moyens ne seraient rien sans les dimensions de plaisir et de gratuité :
Jouer avec la lumière
Chatoyer les matières
Nuancer les vues
Faire que cela sente bon
Flatter la caresse
Rythmer les formes entre caverne et belvédère, entre lignes droites et sinuosités


L'architecture devient ainsi un hommage, symbole du monde ? dont elle se nourrit : geste de merci.
- D'accord, allez-vous me dire, mais ce chantier était exceptionnel : les clients ouverts, le budget généreux !

Vous avez raison. Je peux même vous préciser que cette situation n'a pas été dépourvue de "galères".
Je pense tout spécialement à l'étancheur posant sa membrane recyclable et sans chlore dans une période de très mauvaise météo… ou aux délais dépassés… les entreprises surprises par les changements de fournisseurs ou ayant mal évalué les difficultés pour cause de nouveauté.

Bien !
Un projet, malgré le sourire de ces habitants, ne fait pas preuve.
Chaque fois, le chemin est neuf.
Pour faire contre-pied, je passe sur le versant âpre de la montagne dont le chemin est en dévers pour cause de budget trop serré.

BATIMENTS DE "DEFFI-BOIS"

Sur le chemin de l'économie :
Compacter les volumes au plus près des usages.
Accepter les matières brutes (dallage industriel en sol, charpente en bois raboté sans finition).
Intégrer les fonctions du plafond dont le platelage disjoint est support d'étanchéité en même temps que correcteur acoustique.
Préférer le bois broché au lamellé-collé pour les portées importantes afin de favoriser le charpentier local qui n'a pas de banc de collage.
Utiliser la capacité d'auto-construction disponible sur le site : ici le maître d'ouvrage a réalisé la cloison centrale en bloc de béton de copeaux de bois, qui de plus valorise un déchet ici surabondant.

Sur le chemin de l'énergie :
Sur ce site venté, protéger le sud par l'étrave haute du volume de la salle de conférence.
Construire et se brancher sur un réseau de chaleur avec une chaufferie bois.

Mais tout cela n'ampute pas l'effort de gratuité :
Le trop gros châtaigner, fondé sur une pierre du site, invite à entrer.
Le jeu des bois de charpente rythme et courbe le plafond de classes économiquement carrées.
Les jambes de force en bois tourné contreventent les portiques cachés de la grande salle et brouillent une géométrie trop simple (nous utilisons ici la rapidité de calculs itératifs que permet l'informatique : par tâtonnement, on lisse les efforts d'une géométrie d'apparence aléatoires distinguant ainsi rigueur constructive et régularité).
Le soutien des gargouilles est bien le rose contrepoint électrique des couleurs naturelles du bois.
L'écran de protection descend devant la fenêtre et occulte la salle.
Le bardage strie horizontalement la façade de lames posées inclinées.
Le soubassement de béton de chanvre apporte une densité minérale.
Les ferrures rouges d'assemblages sont comme des ongles vernis à la limite du mauvais goût.
Les planches brochées décalent leurs extrémités.
Des branches écorcées signalent des grands vitrages.
Le chemin de câble illumine la charpente.
Les couleurs des cloisons…

- Bon ! Bon d'accord, mais cette école reste un tout petit projet ! Si nous posons la question de la ville ?

PROPOSITIONS POUR SAINT-ETIENNE

Sur le chemin de l'amélioration de l'assiette géographique,
Passer du "tout à la rivière" au "tout à l'égout"
Déminéraliser les sols pour les rendre perméables.
Utiliser des matières "transpirantes" et planter massivement les toits pour crever la cloche climatique de certains moments de l'année.
Créer des bassins de fenêtre pour rendre l'eau de pluie accessible.

Et sur le chemin des ressources,
Transformer les matières de démolition en matériaux de construction.
Promouvoir l'usage massif des matières végétales stockeuses de CO².
Exploiter les déchets comme matière première.
Reboucler avec le monde rural un cycle de la matière organique de qualité pour favoriser l'humus dans sa fécondité.

Et sur celui des transports…
Et sur celui des échanges…: favoriser les circuits courts de tout ce qui a un poids et favoriser les circuits longs de tout ce qui n'en a pas (les idées).

Et pour la culture… recoudre la main au cerveau, le faire au penser, la raison à la sensibilité…

Tout comme sur le chemin de la gratuité
     Trouver un cœur de silence
     Placer le totem sculpté de la cosmologie contemporaine contant le monde en 15 milliards
     d'années (trop masculine métaphore du big-bang ?).
     Créer une fête de la nuit qui éteindrait les lumières pour voir les étoiles.
Et…

Evidemment c'est long et compliqué.
Mais si on marche…

Vous avez dit "méthodes" ?
Je vous répond : "attitude"

Serez-vous satisfaits ?






Yves PERRET





© 2005 PERRET DESAGES. All rights reserved.

--------------------------------------------------------------------------------